14 juin 2008

Exposition la jeune fille et la mort





Hervé et Vanina la Jeune Fille et la Mort
Autour d'un thème couru de la Renaissance allemande, traité en léger décalage, Hervé Bohnert et Vanina Langer composent, chez No Smoking, une exposition assez fascinante. Terrifiante et drôle, sensuelle et macabre.




Hervé Bohnert et Vanina Langer. Photo DNA - Bernard Meyer.




On les avait quittés lors de l'exposition collective que consacrait en début d'année la galerie No Smoking à Matthias Grünewald et à une relecture contemporaine de son célèbre retable. Ils signaient alors une oeuvre commune d'une belle sensibilité. On les y retrouve réunis cette fois-ci sous le thème de La Jeune Fille et la Mort. Avec un regret : Hervé Bohnert et Vanina Langer se contentent ici de deux accrochages distincts.
On frôlerait la déception si, de part et d'autre, les univers n'étaient aussi fascinants. A commencer par celui d'Hervé Bohnert qui se réapproprie photos anciennes et sculptures en bois ou en marbre, généralement trouvées aux puces. La plupart, en leur état originel, mettent en scène la beauté féminine, la vie en sa pleine maturité, le bonheur du couple, de la maternité, de l'enfance.
Des représentations stéréotypées que l'artiste strasbourgeois soumet à un sort macabre, cherchant sous la plastique humaine ce squelette auquel nous serons tous réduits un jour - ce que dit justement ce thème de la Jeune Fille et la Mort. Une putréfaction des chairs qu'il fait dialoguer avec la plénitude même du corps : du visage sensuel d'une jeune femme, taillée dans le bois ou le marbre, il fait ainsi apparaître partiellement l'horrible rictus de la Camarde, quand il ne s'en va pas gratter la vieille photo d'un couple attendri par sa progéniture, transformant le poupon en vision de cauchemar.
Il y a du grotesque, de la dérision dans ce travail qui prend les accents de la tradition de la Danse macabre, où les figures de la Vie et de la Mort évoluent dans une folle farandole. « La Danse macabre ? Le thème m'a toujours fasciné », indique Hervé Bohnert, évoquant celle de Niklaus Manuel Deutsch à Berne.
Attitude réservée que contrebalance un sourire espiègle : comment cet artiste autodidacte de 40 ans, boulanger de son état, en vient-il à explorer avec ténacité ces images d'une mort saisissant le vivant à la gorge ? « C'est très cloisonné. Je suis à fond dedans quand j'y travaille. Et après je n'y pense plus... »
Pas de théorie mais beaucoup d'intuition. Et un solide réseau de collectionneurs qui s'intéresse à sa production. Dans l'esprit de Hervé Bohnert, elle se fonde nécessairement dans le détournement d'un objet prééxistant. « Ce qui m'intéresse, c'est ce décalage entre une première image et ce que je vais y chercher derrière. J'ai l'impression de leur donner une seconde vie. En tout cas un nouveau sens. » Jusqu'au Christ en croix dont il rappelle, en « une gentille provocation », l'humaine condition par de sombres cavités abdominales, un visage d'épouvante ou en le débarrassant de son périzonium...
Atmosphère à l'onirisme plus trouble avec Vanina Langer qui présente ici quelques livres d'artistes et une série de dessins inscrits dans une démarche proche de l'autofiction. « Mon travail trouve sa source dans une réalité autobiographique mais s'en écarte ensuite, autorisant de libres interprétations », dit-elle.
De formats et de formes variables - l'un d'entre eux se veut papillon -, ses livres cumulent préciosité et inachevé, fragilité et rusticité, alternent mat et brillant, figuration et abstraction, articulent fragments de dessins et éléments de matière. Une invitation à une rêverie par le regard autant que par le toucher, une plongée dans une intimité qui se montre mais ne se dévoile pas, disposant çà et là quelques pistes, faites de rencontres et de visages, mais ménageant bien plus encore des zones d'ombre qui rendent impossible une interprétation sûre. Un travail insaisissable et pourtant à l'évidente sensualité.
Les seize dessins qu'elle accroche à No Smoking participent de « la même pensée qui vagabonde ». Encre, gouache, collage, pastel, acrylique, couture et autres techniques s'accumulent pour un résultat sans continuité apparente. Si ce n'est celui d'une histoire tragique où la femme et son corps seraient le principal enjeu. La jeune artiste en brosse avec violence le cadre profondément surréaliste - attaché au rêve, à l'inconscient, à une vérité magique, aux failles intérieures comme aux agressions extérieures.
Chez Vanina Langer, s'il y a représentation de la Jeune Fille et la Mort, c'est parce que la première porte en elle la seconde. Cela n'est pas nouveau en soi. Mais les images nées de ce traumatisme n'appartiennent qu'à elle.

Serge Hartmann

Jusqu'au 12 juillet, chez No Smoking, 19 rue Thiergarten, à Strasbourg. Du mercredi au samedi, 15 h à 19 h. 03 88 32 60 83.






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