Une exposition chez No Smoking La Jeune Fille et la Mort Sur les traces de Hans Baldung Grien et de Niklaus Manuel Deutsch, dix-huit artistes revisitent le thème très rhénan de La Jeune Fille et la Mort. Sexe, effroi et décalages. La Jeune Fille et la Mort par Eric Laniol, Christoff Baron et Raymond-Emile Waydelich. Aurélie Piau. Sabine Niedzwiedz. | La Mort, face grimaçante, saisit la chevelure d'une femme au corps dénudé, blafard, pour la précipiter dans la tombe ouverte à ses pieds. En 1517, Hans Baldung Grien peignait sur un panneau de bois cette Jeune Fille et la Mort , témoignage d'un temps où rien n'était plus fragile que le fil d'une vie. Il en donnait aussi une autre version, plus sexuelle : un squelette y étreint et embrasse sa victime qui se débat dans son linceul. Son confrère le Bernois Niklaus Manuel Deutsch était au diapason, représentant le visage décharné de la Camarde qui cherche goulûment les lèvres de la jeune femme épouvantée.
Danse macabre ou Grande Faucheuse
« On imagine généralement que le thème de La Jeune Fille et la Mort est typiquement rhénan. C'est oublier qu'il puise ses racines bien plus loin, dans la mythologie grecque, avec le rapt de Prospérine par Hadès, le dieu des Enfers. Mais il est clair qu'il a pris une toute autre dimension au Moyen Age, notamment après les grandes épidémies de peste qui ravagèrent une Europe déjà en proie aux guerres. La mort participait du quotidien des gens. La Danse macabre ou la Grande Faucheuse étaient des images qui faisaient vraiment sens. La Jeune Fille et la Mort aussi... », commente Bertrand Rhinn, responsable de la galerie No Smoking. Après la Crucifixion de Matthias Grünewald, l'an passé, il a sollicité à nouveau le regard de plasticiens, de la région et d'ailleurs, les invitant à réinterpréter ce grand thème classique. Une quinzaine de propositions, comptant quelques belles pièces, déclinent ainsi ce face-à-face de l'érotisme et de la mort. Stéphane Lallemand en offre, par la photographie, une vision proche des illustres prédécesseurs évoqués plus haut : sensualité d'une jeune femme nue au visage tourné vers la Camarde, située derrière elle, et qui saisit son corps d'une main ferme - le modèle reprend la pose et le jeu du voile de la célèbre peinture de Baldung Grien au Kunstmuseum de Bâle. C'est ici la réinterprétation contemporaine à la charge érotique la plus directe, la plus crue, quand beaucoup d'artistes adoptent une certaine distance. Distance qui s'exprime par le biais de l'ironie, à l'image de Raymond-Emile Waydelich qui met sous cloche un monstre de série B s'élançant vers une poupée Barbie aux seins dévoilés, ou de René Weber dont la découpe d'un profil est parsemée de petits crânes rieurs - une autre vision plus sombre, plus picturale aussi, superpose sur du Plexiglas la tête d'une momie et celle d'une jeune femme traitée d'une façon que les Nouveaux Fauves n'auraient pas réniée. On retrouve ici des fidèles de No Smoking, comme Hervé Bohnert, Christoff Baron, Benoit de Carpentier - des serpents et autres crapaux flottant dans des bocaux de formol dialoguent avec d'accortes créatures de la peinture académique -, ou encore Elisabeth Frering qui livre un beau et sobre travail à l'aquarelle et à la mine de plomb sur papier - univers décalé où des silhouettes du monde de l'enfance, Mickey ou lapins, en croisent d'autres, plus menaçantes, tout ce petit monde, parfois érotisé, toujours spectral, lévitant dans l'espace vierge de la feuille. Si tout n'est pas ici forcément convaincant - on a connu Mathieu Weemaels plus inspiré et on a beau écarquiller les yeux, la toile d'Elisabeth Gilbert Dragic ne révèle pas son secret... -, quelques découvertes suscitent l'intérêt et l'envie d'en connaître plus sur le travail des artistes. Il y a tout d'abord Emmanuelle Potier - lire ci-contre - dont la toile constitue l'une des belles surprises de l'exposition. Aurélie Piau, que Bertrand Rhinn est allé dénicher à Montpellier, signe deux toiles d'une force onirique qui lie magnifiquement fraîcheur et tension. « Je lui organiserai une exposition perso », promet Bertrand Rhinn - on ne demande pas mieux.
Tout un petit monde parfois érotisé, toujours spectral
L'univers baroque et coloré de Gala Dittmar intrigue aussi. La photographe, d'origine strasbourgeoise et installée en Belgique, scénarise en cinq stations la mise à mort d'une jeune femme par une femme plus âgée, voilée de noir, dague à la main. Le propos s'y situe à mi-parcours entre scène d'assassinat et tendresse d'une Mater Dolorosa qui berce le corps de sa victime. « Pour moi, la mort a quelque chose de maternel », risque l'artiste. Cinq siècles après Baldung Grien, le trépas a ( presque ) perdu de son effroi... Serge Hartmann Jusqu'au 18 avril chez No Smoking, 19 rue Thiergarten à Strasbourg. Du mercredi au samedi de 14 h à 19 h. 03 88 32 60 83. |
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