Péchés capitaux
Sur les pas de saint Thomas d'Aquin, une quinzaine de plasticiens sont allés taquiner, à l'invitation de No Smoking, le thème des Sept péchés capitaux. Avec une nette prédilection pour la luxure. Étonnant ?
STRASBOURG
Orgueil, avarice, envie, colère, luxure, gourmandise et paresse morale : il fallut attendre Thomas d'Aquin et sa Somme théologique pour que soient définis, par la doctrine chrétienne, les sept péchés "capitaux" - ceux desquels découlent tous les autres, puisque placés "en tête" ( capita ). Pouvoir de fascination du mal : des représentations médiévales à David Lachapelle, en passant par Bruegel l'Ancien, Jacques Callot ou encore le célèbre tableau de Jérôme Bosch au Prado, le sujet ne laissa pas indifférent les artistes.
Responsable de la galerie associative No Smoking, Bertrand Rhinn ne dédaigne pas de solliciter à l'occasion des plasticiens afin qu'ils se confrontent à des thèmes de l'art ancien - on se souvient des expositions sur La Jeune Fille et la Mort ou les crucifixions en relecture contemporaine de Grünewald. Nouvelle proposition, avec ces Sept péchés capitaux soumis à une quinzaine d'artistes de la région et d'ailleurs.
Premier constat : une nette prédilection pour la luxure. De là à en déduire un profil psychologique dominant dans l'honorable profession des plasticiens, le propos serait évidemment exagéré.
Les déclinaisons n'en sont pas moins nombreuses : Olivier Lelong a conçu un montage photographique de performances passablement hard, Gerald Wagner détourne le prie-Dieu pour une pénitence soumise au démon de la chair, Mathieu Boisadan mobilise sur une grande toile une métaphore de la montagne un rien sibylline, Marie-Amélie Germain aborde le corps féminin dans une inspiration toute baudelairienne - sa peinture se rappelle des vers de La Charogne (« Les jambes en l'air, comme une femme lubrique / Brûlante et suant les poisons... ») - tandis que Gopal Dagnogo croise luxure et gourmandise dans une suggestive partie à trois.
Que la notion de péché s'inscrive avant tout dans un formatage culturel, Hervé Bonhert en semble convaincu : ses sept crânes réalisés en napperons et disposés à la façon d'une pièce montée, suggèrent une lente et collective mise au diapason. Iglika Christova n'en est pas loin dans un tableau qui fait se chevaucher images et temporalités ( celles d'avant et d'après le péché ), quand Benoît Decque recourt à un cahier d'écolier et à une technique d'écriture automatique pour se livrer à un exercice / performance de déculpabilisation.
Certains travaux sont plus allusifs. Comment interpréter les hosties délicatement brodées de fragments humains par Laure André ? A laquelle on doit aussi ces inquiétantes boîtes d'entomologistes dont le couvercle en verre est gravé de silhouettes d'enfants morts-nés - proposition qui cumule finesse d'exécution et force dérangeante.
D'autres s'amusent. Pour l'avarice, Alain Galaup ose une peinture "radine" - un fond gris d'où le mot se détache dans une économie graphique. Pour Aurélie Piau, la gourmandise s'installe dans une iconographie détournée, volontairement désuète et faussement naïve. En revanche, l'œil glisse sur la peinture lisse de Tailing qui sacrifie à un manga-pop par trop dans l'air du temps.
L'œuvre qui se distingue du lot, on la doit peut-être à un jeune peintre de Strasbourg, formé aux Beaux-Arts de Lyon, dont c'est la première exposition. La gourmandise lui donne l'occasion d'un magistral et double-autoportrait à l'huile. Dans une nuit caravagesque éclairée au Butagaz, affublé de lunettes grotesques, d'ailes ridicules, vêtu d'un tee-shirt et d'un slip fatigués, chaussé de croquenots, il livre une version contemporaine de Belzébuth, le démon tutélaire de la gourmandise, souvent associé à la mouche ( le Seigneur des mouches dans l'ancien pays de Canaan ). D'une jambe conquérante, il domine un double pitoyable, clochardisé, nourri de pizza, bières et confiseries. Remarquable, par le fond et la forme.
Une représentation dépourvue de tout orgueil. Orgueil par ailleurs très absent dans l'exposition. Quoique... « Les plasticiens n'en sont-ils largement pourvus ? Il faut un certain ego pour revendiquer et ensuite soumettre son travail au public », interroge, narquois, Bertrand Rhinn.
Serge Hartmann
Jusqu'au 4 décembre, à la galerie No Smoking, 19 rue Thiergarten. Du mercredi au samedi, de 14 h à 19 h. 03 88 32 60 83.
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