31 octobre 2009

Enfin la presse d'Artistes in Wonderland











Aurélie Piau un monde désenchanté
Des jeux de l'enfance à ceux des adultes, elle circule dans une ironie désenchantée. Aurélie Piau, c'est un peu Sade qui rencontrerait Alice au Pays des Merveilles. Le résultat se donne à voir chez No Smoking.


Aurélie Piau. Photo DNA - Bernard Meyer

On l'avait repérée lors de l'exposition collective que la galerie avait consacrée, au printemps dernier, au thème de La Jeune Fille et la Mort. Deux toiles y mettaient en scène un inquiétant monde de l'enfance à l'onirisme crépusculaire. L'écho très favorable qu'avait rencontré ce travail a amené Bertrand Rhinn, directeur de No Smoking, à la mettre à l'affiche de sa rentrée automnale.
L'artiste, installée à Montpellier, y signe un accrochage qui conjugue différents supports - grandes bâches peintes, toiles et papiers en moyens ou petits formats. Et surtout : elle ne déçoit pas les attentes qu'elle avait suscitées. Les peintures et dessins d'Aurélie Piau sont autant de petites narrations qui cheminent en des territoires interlopes, au bord du malaise sans jamais y basculer véritablement, toujours retenues par une ironie décapante, une ambiguïté qui crée une distance et dédramatise ce qui pourrait passer immédiatement pour un sombre théâtre de la cruauté.
Ainsi en est-il de ses trois grandes bâches peintes. Une jeune femme, très Maîtresse Domina, s'y livre à de petits jeux érotiques avec un homme qu'on imagine plutôt consentant. L'une de ces pièces, inscrite dans un décorum de roses et petits oiseaux dignes des princesses énamourées de Walt Disney, proclame Pour la Vie. La scène revendique le décalage.
Les deux autres bâches offrent un traitement plastique plus brutal : les personnages émergent d'un espace blanchâtre traité à la spatule, qui à la fois dissimule et met en valeur. Il y a, à chaque fois, une qualité picturale assez saisissante. D'avoir travaillé durant cinq ans dans un atelier de restauration de tableaux, après être passée par les Beaux-arts de Nice et Montpellier, a assurément beaucoup apporté à Aurélie Piau sur le plan de la connaissance même de la matière de la peinture.
Quant au propos, que souligne encore le détournement d'un Pinocchio qui se livre à de joyeuses étreintes avec sa Pinocchiette, Aurélie Piau le résume d'une formule vague et amusée : « Disons que l'amour et les rapports hommes-femmes, c'est une sacrée pagaille... »
Les enfants ne suscitent pas davantage une vision où régneraient calme, harmonie et innocence. Leurs visages offrent parfois le caractère factice du jouet en plastique, comme si l'artiste voulait souligner un abandon d'humanité. Les charmants petits monstres soumettent ainsi à la torture leurs poupées - auxquelles il leur arrive de ressembler dans un dramatique mimétisme -, transpercent les insectes à la fourchette, arborent cocktail molotov, pied de biche ou pince-monseigneur. Parfois leurs sourires ont l'obscénité racoleuse de certaines publicités qui n'ont pas peur d'en rajouter dans la joie imbécile.
Silhouette fine et visage souriant, Aurélie Piau n'en porte pas moins en elle un univers marqué par le désenchantement. Il nourrit des images sidérantes. Il est déconcertant de l'entendre parler des artistes qu'elle aime et qui au regard de son travail paraissent bien sages. Ingres, « pour le dessin et la déformation qu'il engendre », dit-elle. Et Rembrandt, « pour le boeuf écorché . » Evidemment...


Serge Hartmann

Jusqu'au 21 novembre chez No Smoking, 19 rue Thiergarten. Du mercredi au samedi. A voir également : les sculptures en cire et céramique colorées de Sabine Niedzwiedz.

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