par Aurélie-Ondine Menninger dans les Affiches-Moniteur, mai 2011
La galerie No Smoking est devenue et sera jusqu’au 4 juin, le temple de la mort, un lieu de contemplation, ou de jubilation, dont émane, de la fête mortuaire au sanctuaire, une poésie du désir et de l’excès, où la laideur de la mort est aussi beauté dernière, ultime jouissance des corps….Ainsi, le lieu de cette rencontre est bien ce « POINT » selon l’intitulé de l’exposition où s’unissent les œuvres cousines des artistes Laure André et Hervé Bohnert ;
point de croix déterminant un lieu à la croisée des chemins, croix religieuse ou coïncidence heureuse, point de fuite, ou temps de la métamorphose, il propose une réinterprétation du point d’ancrage de la vie et notre perception du passage.
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Il s’agit bien de vanités, dont les formes de représentation ont évolué depuis les natures mortes du XVIIème siècle, entrelaçant les symbolismes, superposant les formes rituelles religieuses et profanes européennes et plus lointaines de différentes époques.
Ainsi, à la signification première des vanités, « catégorie particulière de nature morte, dont la composition allégorique suggère que l’existence terrestre est vide, vaine, la vie humaine précaire et de peu d’importance », se trament de nouvelles perceptions et sensibilités au temps et au monde.
La subversion moderne et profane du temps ayant par le biais de l’arrivée de nouvelles inventions, (l’évolution informatique et mécanique) bouleversé notre relation à la mort, ont sans doute déplacé notre besoin de sacré sans pour autant le faire disparaître.
Il s’est agi ici d’une quête à redéfinir, dans un espace libre à mi-chemin entre le sacré et le profane : un espace poétique.
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Mises en scène de crânes « totémiques » inspirées des crânes décorés des rituels funéraires océaniens, successions de portraits ou de photographies de familles datant du XIXème siècle dont la pellicule grattée révèle à sa façon la mort qui hantait déjà les corps glacés du papier, ou que la peinture jetée a recouverte afin de la ranimer, (redonnant vie à la vieille photographie et révélant une seconde fois, non la vie mais la mort, ou le moment de la mort comme une violence faite à la vie), napperons amidonnés prenant les formes de crânes, s’osselets, s’organisant ou présentés sous la forme de « dons d’organes » ou de « memento mori », ou de tapisseries représentant une danse macabre entre humour noir et réminiscence de westerns, (la mort menaçant la mort d’un révolver ou deux squelettes jouant à s’entretuer sur fond de fleurs brodées), tel est l’univers de Hervé Bohnert, toujours centré sur l’obsession du corps et de sa disparition, et travaillant principalement sur le mode de la répétition et de la série, (travail antérieur à l’exposition sur des moulages en cire de visages, de bustes et bustes avec cœurs momifiés, de sexes féminins…) ;
Ou encore, comme Laure André, sur cette corde sensible, ce fil fragile de la vie prêt à se rompre, la dentelle mimant la métaphore, et le point de traversée de l’aiguille, le lieu de rencontre d’Eros et Thanatos.
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Se passionnant pour les objets précieux, anciens ou rares, le plus souvent à connotation religieuse, Laure André les réinvente, redonnant un sens sacré ou poétique au corps caché, où les symboles du corps (corps et sang du Christ) côtoient l’image médicale du corps (squelette humain, sexe féminin…), où l’artistique se superpose ou s’interpose à une vision scientifique (l’aiguille de son travail rappelant l’aiguille de la grand-mère comme celle des boîtes d’entomologistes)ou religieuse.
Ainsi, l’artiste crée ses exvotos, piquant les hosties de dessins brodés, faisant des médaillons d’hymens (à partir de ceux répertoriés dans une encyclopédie médicale) révélant leur caractère de bijoux uniques (en médaillon ou en poudrier), nommant « ectropion », cet instrument ancien dit « relève-jupe », visuellement proche d’un instrument de musique, le munissant d’un œil et d’une jolie rangéede cils faisant allusion aux curieux indiscrets…
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Accessoires féminins à la lisière de la féminité et d’une signification poétique ou sacrée, ils sont les fétiches de l’artiste, ses sujets d’inspiration comme pour cette robe de communiante suspendue et amidonnée, auréolée de lumière, habitée de minuscules personnages imprimés représentant les différents stades de l’hystérie, et faisant allusion au sujet de Charcot, Blanche W.: muse, patiente, sujet de désir et de fascination, assimilée aussi bien à la sainte qu’à la prostituée…
Plus encore, c’est une nouvelle « étiquette » ou identité, un nom ou une mémoire (« suture 45 » faisant allusion au massacre d’Oradour), que Laure André cherche à octroyer ou à rendre, à réinventer aux objets ou à la vie, aux possibilités de vie qu’ils contiennent…
Fils ou relations entre des vies parallèles, L. André crée des chemins de fils du monde charnel au spirituel, renoue le cordon ombilical symbolique au fil de ses pensées, dans un entrelacement sensible et sensuel_ fil d’Ariane menant à soi, dessinant au détour des croisements, des points de rencontre avec son corps, son nom, et dessinant au fil du hasard et du temps, un autoportrait.
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De l’utilisation d’une radio de son propre squelette auquel elle superpose de la dentelle imprimée au découpage auréolé ou dentelé du plan d’un monastère depuis son cœur, (dentelle ou squelette de l’architecture d’« une Laure », autrement dit, « un monastère »)jusqu’à ses vibrations les plus éteintes, aux limites de son corps architectural, à l’œuvre de son propre corps, dont la nuque dégagée laisse deviner le dessin de sa colonne vertébrale comme en prolongement de sa quête d’artiste, apparaît une image de soi, et par-delà, : une autre façon d’apprivoiser la mort.
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Jusqu’au squelette de dentelle réalisé par les deux artistes ensemble, les objets réunis, de leur existence et leur signification indépendante, créent entre eux, des chocs, des interactions, des points de rencontre dans le temps sur la matière.
Ensemble, ils interrogent le passé, la mémoire (individuelle ou collective), notre rapport au temps et à la mort, au corps et au spirituel et à leur caractère désindividualisé par le social et le religieux.
Ensemble, ils renouent avec la tradition des « vanités » et tout en les réinventant, continuent à évoquer au moins deux parmi les trois groupes de vanités répertoriés par Ingvar Bergström, représentant la vanité des biens terrestres, ou évoquant le caractère transitoire de la vie humaine.
Points de fusion de Eros et de Thanatos, points d’entrée dans le monde, points de couture ou de suture, points de passage, de la traversée érotique au pèlerinage spirituel, points de transition entre la vie sur terre et le moment où elle s’arrête, les œuvres des artistes Laure André et Hervé Bohnert, nouent des fils secrets entre les mondes et les époques, dans une subversion matérialisée de l’intervalle ou de l’entre-deux, inversant le passage de la vie à la mort par un renversement et une transgression des codes artistiques ou religieux.
Dans le silence des broderies, où danse un souffle léger, des idées noires dansent sur du fil blanc, des mailles comme des phrases, écrivent, (à lire entre les fils) :« memento mori » : « souviens-toi que tu mourras ».
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