21 mai 2011

Souvenirs de la maison des morts


STRASBOURG / A la galerie No Smoking

Hervé Bohnert et Laure André fragmentent le corps, convoquent un univers désuet fait de napperons, broderies ou porcelaines, et revisitent la Vanité de façon drôle et inquiétante.
Ce n’est pas une exposition à quatre mains, mais ils ont tout de même réalisé pour l’occasion une pièce commune : suspendu dans une vitrine, un squelette, à l’échelle réelle, expose sa blancheur immaculée. Quelque chose intrigue… En s’approchant, le visiteur remarque que les os sont en napperons. Un solide amidonnage leur permet de conserver les formes imprimées par les artistes.
Les fidèles de No Smoking se rappellent certainement l’exposition consacrée, l’automne dernier, au thème des Sept Péchés Capitaux. Le Strasbourgeois Hervé Bohnert y attirait déjà l’attention par une série de crânes réalisés selon la même technique de napperons amidonnés.
On y retrouvait cet univers qui caractérise de longue date son travail : une façon de se confronter à des formes établies de l’histoire de l’art, mais en se les réappropriant dans des matériaux inattendus. Un travail qui exprime aussi une certaine sensibilité pour les arts et traditions populaires, pour les objets patinés par le temps, les photographies anciennes, les encyclopédies poussiéreuses, tout un corpus un peu vieillot, souvent déniché aux Puces, et auquel il donne une nouvelle identité.
Ainsi présente-t-il, un buste de pédagogie anatomique, avec ses organes à placer dans les cavités ad hoc, le tout entièrement réalisé en napperons.
Par ailleurs, Hervé Bohnert sculpte (des crânes en bois qu’il est difficile de ne pas prendre pour des vrais) et assemble des éléments dont les associations produisent d’étranges images primitives : des fleurs, des éléments de lustre, des becs d’oiseaux… Surgissent ainsi des divinités primitives improbables.
Dans ce rapport au temps, dans cette mélancolie rêveuse que fonde Hervé Bohnert au hasard de fragments venus d’un lointain passé, Laure André apparaît comme une petite sœur d’adoption.
Cette approche intime de l’objet, cette façon d’intervenir avec une certaine préciosité sur des supports ayant déjà leur propre histoire ou leur propre symbolique, cette mélancolie de la mémoire : la jeune artiste strasbourgeoise tisse effectivement d’étranges liens avec l’univers d’Hervé Bohnert.
Qu’elle brode délicatement des hymens sur des hosties, qu’elle grave la radiographie d’un thorax devenu ainsi un motif de fines dentelles ou encore qu’elle évoque sur une ancienne robe de communiante les hystériques de Charcot, d’insondables mystères et tensions liés au corps de la femme sous-tendent son imaginaire.
Tout comme pour Hervé Bohnert, le temps demeure une obsession absolue pour Laure. Et donne lieu à une poésie un peu triste d’un passé enfoui qui ressurgit dans des formes familières : de vieilles étiquettes retrouvent, avec la porcelaine, un matériau plus noble.
De lointaines blessures sont suggérées avec ces images issues de documents liés au drame d’Oradour-sur-Glane, dont le graphisme est constitué de fils noirs tissés sur une pellicule transparente et qui s’effilochent – « Comme la mémoire », précise l’artiste.
La fragilité et la délicatesse des techniques font contrastes avec le propos qui parfois frôle l’inquiétant. Ainsi en est-il des malformations de nourrissons dont elle puise les représentations dans d’anciennes encyclopédies et qu’elle reproduit en fines broderies sur organdi.
Dans un accrochage qui tangue par moments du côté du Cabinet de curiosités, l’exposition invite à une déambulation irréelle que traverse le goût amer de la finitude humaine.

Serge Hartmann

Jusqu’au 4 juin, chez No Smoking, 19 rue Thiergarten. Du mardi au samedi, de 14 h à 18 h. 03 88 32 60 83.

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